SCÈNE 22 online: die Mini-Webserie

SCÈNE est une anthologie de pièces de théâtre d'auteurs contemporains du monde francophone en traduction allemande. Au cours des 20 dernières années, 112 textes de théâtre ont été traduits et publiés. La dernière édition de l'anthologie présente huit textes dramatiques inédits provenant de France, de Belgique, du Québec et de Suisse.

En remplacement de l'événement prévu au Berliner Ensemble, qui devait avoir lieu le 14 novembre, nous présentons une mini-websérie. En huit parties, des membres du Berliner Ensemble présentent des extraits des textes en traduction allemande sous forme de courtes lectures scéniques ; les vidéos sont complétées par des entretiens avec les auteurs Olivier Choinière, Claudine Galea, Julie Gilbert, Annick Lefebvre, Alex Lorette, Sara Jane Moloney, Myriam Saduis et Gwendoline Soublin.

Dans ces textes, les auteurs traitent de notre présent dystopique et s'interrogent sur les perspectives d'avenir d'une génération qui a grandi avec les crises mondiales, le turbo-capitalisme et le déclin des valeurs.

SCÈNE 22 est un projet de coopération du Bureau du Théâtre et de la Danse/Institut français Deutschland avec la représentation du gouvernement du Québec, de Pro Helvetia - Fondation suisse pour la culture et de Wallonie-Bruxelles International (WBI). Avec le soutien de l'Institut français, de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), du Ministère français de la Culture/DGCA, de l'ARTCENA (Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre), de l'Ambassade de France en Suisse, du CEAD (Centre des auteurs dramatiques) et de la Société Suisse des Auteurs (SSA).

En coopération avec : Berliner Ensemble 

Rédacteurs de la Scène : Leyla-Claire Rabih et Frank Weigand

Réalisateur : Leyla Claire Rabih, Assistant réalisateur : Simon Klösener

Vidéo : Dalia Castel

Commander Scène 22

Wutströme - Julie Gilbert (Originaltitel: Outrages ordinaires aus dem Französischen von Mira Lina Simon)

Interview Julie Gilbert

Acteur : Oliver Kraushaar

Dans "Wutströme" de la dramaturge genevoise Julie Gilbert, le contradictoire et le fragmentaire sont au programme. D'une part, des fragments d'histoires d'évasion et de destins personnels s'entremêlent dans ce texte polyphonique sur l'exil, la migration et l'identité, jusqu'à ce que l'image d'une vague universelle de souffrance émerge, balayant du Sud au Nord. En même temps, l'auteur juxtapose à plusieurs reprises ces lamentations lyriques et exagérées avec des scènes qui remettent en question la perspective du dramaturge occidental, qui parle à la place des véritables protagonistes et se contente d'utiliser leurs biographies. La pièce de Gilbert, écrite en 2011, anticipait de nombreuses questions qui sont devenues courantes aujourd'hui, du moins depuis la crise migratoire européenne de 2015. Comment représenter les catastrophes mondiales ? Qui a la légitimité pour en parler ? L'auteur ne résout pas la tension entre la domination et le sentiment de culpabilité qui caractérise les relations entre les riches nations industrialisées et le Sud. Son texte "Wutströme" est une sorte de cri d'alarme qui ne veut pas guérir, mais qui nomme les paradoxes et les laisse debout.

Stacheldraht – Annick Lefebvre (Originaltitel: Les Barbelés aus dem Französischen von Sonja Finck)

Interview Annick Lefebvre

Actrice : Josefin Platt

Un personnage dont le genre n'est pas précisément déterminé - "peut-être un homme, peut-être une femme, et peut-être quelqu'un pour qui le genre est quelque chose de fluide" - et qui est récemment devenu père ou mère, vient de réaliser qu'à l'intérieur de chaque être humain dans le monde occidental se cache un fil barbelé qui ne cesse de s'allonger, se frayant progressivement un chemin à travers tous les organes et conduisant finalement à la mort de son hôte. Le personnage, qui s'exprime à bout de souffle contre le temps qui passe, fait un bilan général de lui-même et de son existence schizophrénique, entre auto-optimisation, racisme quotidien, inégalité des sexes, drames familiaux et bienfaisance à la mode des médias sociaux. Malgré son rythme et son esprit linguistique proche de la poésie, "Stacheldraht" est un bilan amer et méchant d'une société sans réelle menace extérieure, qui a déplacé cette menace vers l'intérieur et porte donc déjà en elle les germes de sa propre destruction.

Und alles – Gwendoline Soublin (Originaltitel: Tout ça Tout ça aus dem Französischen von Corinna Popp)

Interview Gwendoline Soublin

Acteurs* : Paul Zichner et Laura Balzer

Sur proposition de son collègue Fabrice Melquiot, l'auteur jeunesse Gwendoline Soublin a interrogé des enfants et des jeunes sur leurs craintes et leurs souhaits pour l'avenir. Le résultat est "und alles", un hymne touchant et humoristique à une génération qui ne s'attarde plus sur des rêveries agonisantes, mais prend des mesures pragmatiques pour sauver la planète. Un groupe d'enfants part à la recherche d'Ehsan, qui n'est pas dans l'abri nucléaire mis en place par son père, mais sur la côte bretonne, en train de sauver une baleine échouée. La recherche de l'homme disparu par les autres se déroule d'une manière tellement en chemise et pragmatique que le spectateur acquiert une grande confiance en l'avenir. Les nouveaux problèmes exigent une nouvelle prise de conscience et une stratégie collective. Les protagonistes de Gwendoline Soublin portent des noms de "migrants" comme Chalipa, Ehsan ou Salvador, mais ne souffrent nullement de leurs identités multiples. Comme dans "Dunkeltunke", les parents sont absents, mais sans que cela ne laisse de traumatisme. Dans la nouvelle communauté solidaire que forment ces enfants, chacun est pris au sérieux - indépendamment de son âge, de son sexe ou de son origine. Dans l'esprit des Vendredis pour l'avenir, une nouvelle société semble possible ici. Peut-être des textes comme celui-ci pourraient-ils en être des outils ?

Final Cut – Myriam Saduis (Originaltitel: Final Cut aus dem Französischen von Leyla-Claire Rabih und Frank Weigand)

Interview Myriam Saduis

Actrice : Constanze Becker

"Final Cut" est un monologue, qui est toutefois interrompu à plusieurs reprises, à la manière d'un collage, par des voix issues de l'histoire et de l'environnement personnel. Dans une sorte de conférence-performance, l'actrice et réalisatrice utilise le traumatisme de sa vie personnelle pour dérouler le traumatisme historique de la colonisation française de la Tunisie et ses conséquences jusqu'à aujourd'hui. Comme dans une séance de psychanalyse, elle retrace l'amour raté de ses parents (mère : tunisienne d'origine italienne, puis citoyenne française - père : tunisien arabe qui est expulsé de France) et la querelle administrative qui s'ensuit. Malgré toutes les digressions historiques, politiques et artistiques (la pièce fourmille de références à des films et des chansons qui reflètent l'atmosphère culturelle de la France des années 1960), le texte reste un document profondément personnel sur une relation mère-fille pathologique. En utilisant sa propre biographie comme exemple, Saduis montre comment une génération qui grandit au milieu des séquelles du colonialisme est littéralement écrasée par l'histoire.

Manifest der Jungen Frau – Olivier Choinière (Originaltitel: Manifeste de la Jeune fille aus dem Französischen von Hinrich Schmidt-Henkel)

Interview Olivier Choinière

Acteur: Ben Münchow

Le «Manifeste de la jeune femme» du metteur en scène québécois Olivier Choinière est volontairement artificiel et anti-psychologique. L'image de la «jeune femme», telle qu'elle est dessinée par les magazines sur papier glacé et les blogs pertinents d'aide à la mode et aux relations, devient un chiffre aigu du fonctionnement du capitalisme. Avec des perruques, un groupe d'artistes de différents âges qui incarne le consommateur idéal qui fait tout pour être une partie à part entière de la société. Les slogans publicitaires sont déclamés comme des bulles jusqu'à ce que le sujet passe progressivement au domaine du politique. Dans son oratorio à grande vitesse, qui dans ses meilleurs moments rappelle le début de René Pollesch et son imbrication d'hystérie personnelle et de contrainte sociale, Choinière ne joue qu'un coup rond en apparence cynique à travers les événements actuels de la folie de la jeunesse au terrorisme et se termine presque sentimentalement par un hymne tout à fait sérieux du pouvoir transformateur du théâtre. Son méta-théâtre, qui au Québec, où le drame psychologisant domine encore, occupe une position exceptionnelle, n'est donc pas une fin en soi mais soutenu par un élan politique presque brechtien.

Dunkeltunke – Claudine Galea (Originaltitel: Noircisse aus dem Französischen von Yasmine Salimi)

Interview Claudine Galea

Actrice : Laura Balzer

Dans une station balnéaire de la côte française de la Manche, June et Winter, deux amies de 10 ans, passent un été, idolâtrées par deux prétendants à peine plus âgés, le "petit" et le réfugié syrien Haytam El Marwan, qui rêve d'Australie et qu'elles baptisent "Mayo" par souci de simplicité. Complètement laissées à elles-mêmes par le monde des adultes, les deux filles mettent en scène des jeux de rôle, explorent leurs sentiments l'une pour l'autre et pour les deux garçons, et trouvent dans l'art et le langage des contre-projets à la réalité professionnelle monotone de leurs parents surtaxés. Avec humour et politiquement incorrect, l'auteur brosse le portrait plein d'espoir d'une génération qui fait l'expérience du monde de manière consciente sans en désespérer de manière défaitiste. Au lieu d'être paralysée par les «dunkeltunkenden Gedanken» (pensées sombres) qui l'assaillent sans cesse, Winter décide de laisser derrière elle tout ce qui la dérange et travaille avec ses amis pour changer positivement le monde dans lequel ils vivent. 

SapphoX – Sarah Jane Moloney (Originaltitel: SapphoX aus dem Französischen von Frank Weigand)

Interview Sarah Jane Moloney

Acteurs* : Josefin Platt et Paul Zichner

"SapphoX" de Sarah Jane Moloney, se refuse à une narration cohérente qui tenterait de donner du sens. Dans son premier "vrai" texte de théâtre, la jeune dramaturge, issue du milieu de la performance, établit une relation entre la crise migratoire actuelle et l'antiquité grecque, berceau de la culture occidentale. Le protagoniste est la légendaire poétesse lyrique Sappho, dont seuls 650 vers subsistent et qui a été réinterprétée à maintes reprises au fil des siècles - de l'amoureuse romantique à la mère originelle du féminisme queer. Cette Sappho est maintenant ramenée à la vie dans une intrigue de science-fiction par deux universitaires qui exigent d'elle les "mots manquants" afin de trouver enfin la "vraie" lecture démontrable de l'œuvre de Sappho. En parallèle, l'histoire de deux jeunes volontaires qui ont quitté la Suisse pour Lesbos afin de travailler comme bénévoles dans le camp d'accueil cauchemardesque de Moria. Alors que la jeune fille s'en va après le choc initial, le jeune homme d'origine arabe redécouvre une partie de son identité dans cette activité. Tout comme son protagoniste, l'auteur se doit cependant d'apporter des réponses claires. "SapphoX" se déroule sur trois niveaux temporels : dans l'intrigue de science-fiction (2070), dans le présent (2020) et dans les années 1970, lorsque l'île de Lesbos de Sappho est devenue un haut lieu du tourisme sexuel lesbien naissant. Plutôt que de nous présenter des déclarations et des résultats clairs, Sarah Jane Moloney prend le langage et le temps au sérieux et plaide pour la complexité et l'ambiguïté.

Dream Job(s) – Alex Lorette (Originaltitel: Dream Job(s) aus dem Französischen von Christa Müller und Silvia Berutti-Ronelt)

Interview Alex Lorette

Acteurs* :Oliver Kraushaar et Laura Balzer

 

Alex Lorette aborde la promesse capitaliste de la réalisation des souhaits. Dans son texte complexe sur le plan formel, organisé en plusieurs volets narratifs et mettant en scène six acteurs, il raconte l'histoire de Chloé qui, après des études d'archéologie, passe d'un emploi à l'autre de façon précaire et finit par se retrouver dans l'immense entrepôt d'une multinationale de vente par correspondance en ligne, derrière laquelle on reconnaît aisément Amazon. Lorsqu'elle fait finalement une fausse couche à cause de l'horloge inhumaine, elle met le feu à l'entreprise et s'enfuit en Amérique du Sud pour faire des recherches sur le travail de l'artiste Carlos Cruz-Diez, sur lequel elle avait écrit sa thèse il y a longtemps. En parallèle se déroulent les histoires de son ami Fred, qui passe de DJ à chauffeur de coursier, et de Paul, qui s'occupe des licenciements et du réembauchage du personnel licencié pour différentes entreprises. La contre-figure de Chloé est son amie Melina, qui, après une grave maladie dans sa jeunesse, fait maintenant tout ce qu'elle peut pour réaliser les rêves brillants du monde de la consommation. Derrière l'entrelacement savant des intrigues se cache cependant un appel à la révolte à peine dissimulé. Dans ce système où tout le monde, y compris les patrons eux-mêmes, sont instrumentalisés et exploités, la destruction est peut-être la seule chance de survie. 

En savoir plus sur la publication SCÈNE 22



SCÈNE 22 est un cas particulier. Une fois la sélection des textes terminée, nous avons tous, auteurs, traducteurs et même nous en tant qu'éditeurs, été dépassés par la pandémie mondiale de COVID19, et les événements mondiaux en crise par endroits ont pris des traits plus dystopiques que la plus pessimiste de nos pièces.

Ironiquement, pour ce 22e numéro de SCÈNE, nous avions sélectionné huit textes qui traitaient de différentes formes de crises et des moyens de les surmonter. Toutes ces œuvres ont en commun de vivre les événements mondiaux actuels - la catastrophe climatique qui se profile, la crise migratoire et les séquelles non résolues du colonialisme - comme une dangereuse impasse. Alors que certains d'entre eux analysent et décrivent de manière acérée mais finalement fataliste les maux et l'inhumanité du capitalisme tardif, d'autres cherchent des moyens de s'en sortir ou de nouvelles formes d'organisation qui leur permettront de vivre autrement. Inspirés par des mouvements tels que les Vendredis pour l'avenir, il semble que ce soit surtout la jeune génération qui cherche avec succès des alternatives au système défaillant que leur ont légué leurs aînés.

Nous avions fixé la sélection des textes pour ce volume en février 2020. Le travail sur les traductions a eu lieu au moment de la fermeture des frontières nationales, qui sont soudainement redevenues une source de division insurmontable. Alors que les certitudes volaient en éclats partout et qu'un avenir aseptisé pour le théâtre en tant que forme d'art était dans les étoiles. Heureusement, nous avons constaté que les huit textes étaient toujours valables dans le "monde post-Corona". Ces pièces du "monde d'avant" ont encore beaucoup à nous dire aujourd'hui. Certains passages ont même gagné en sensibilité et en pertinence grâce au nouveau contexte. Lorsque dans "Und alles" (et tout) Chalipa fantasme que bientôt tout le monde devra porter des «OP-Masken» (masques chirurgicaux) et que le personnage principal de «Stacheldraht» veut boire une solution désinfectante contre ses problèmes, les paroles semblent presque prophétiques. Et quand Olivier Choinière s'extasie sur la composante interpersonnelle du théâtre dans le final du "Manifeste de la jeune fille" - "Le théâtre trouve sa raison d'être avec vous, le public, qui croyez au pouvoir de la connexion directe" - on ne peut que souhaiter que tous ces textes soient bientôt joués (à nouveau) dans des espaces théâtraux ouverts et bien fréquentés.